Le rôle délicat de beau-parent
Sophie, 30 ans, est amoureuse! Il y a six mois, une amie lui a présenté un collègue de bureau célibataire. Depuis, ils ne se quittent plus… sauf quand Jean-François a ses deux enfants avec lui à la maison. Sophie veut s’assurer de la solidité et de la viabilité de sa relation avec Jean-François avant de s’attacher à ses enfants. Sinon, s’il y avait rupture, elle aurait à faire le deuil de trois personnes plutôt que d’une seule. Et c’est sans compter l’importance qu’elle accorde au fait de ne pas trop s’imposer à eux qui, contrairement à leur père, ne l’ont pas choisie. De plus, elle se questionne beaucoup sur le rôle d’un beau-parent… jusqu’à quel point devra-t-elle s’impliquer dans l’affection, les soins et l’encadrement à offrir à Arnaud et Stella? Ils ont déjà un père, une mère, une éducatrice, une enseignante, un beau-père… ont-ils vraiment besoin d’une personne supplémentaire pour veiller sur eux? En même temps, est-ce que recevoir trop d’amour et d’encadrement est une chose possible pour un enfant? Peut-être a-t-elle quelque chose de spécial à leur apporter… peut-être qu’eux-mêmes apporteront beaucoup à sa propre vie. Jean-François, avec toute sa sagesse, lui dit qu’elle aura une réponse à ses questions seulement lorsqu’elle « plongera ». En voyant ses grands yeux angoissés, il ajoute qu’il s’agit d’une adaptation et d’un apprentissage qu’elle pourra faire au jour le jour, et qu’il a confiance qu’elle fera une excellente belle-mère, elle qui adore les enfants. Il faut bien qu’un chum rassure sa blonde!
À une époque où les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses, comment savoir quelle est la meilleure façon de jouer ce rôle délicat de beau-parent? La vérité est qu’il n’y a pas de recette toute faite, car de nombreux facteurs varient d’une famille recomposée à une autre :
- cohabitation des conjoints
- type de garde des enfants (garde partagée, une fin de semaine sur deux)
- adaptation des enfants suite à la séparation de leurs parents (certains conservent longtemps un fantasme de réconciliation)
- âge des enfants au moment du début de la nouvelle relation de couple
- implication de l’autre parent dans la vie de l’enfant
- niveau d’entente ou de conflit entre les parents de l’enfant
- niveau d’acceptation du beau-parent par l’autre parent
- affinité entre l’enfant et le beau-parent
- santé mentale de chaque membre de la famille
Tous ces facteurs font en sorte que n’importe quel individu qui s’apprête à devenir beau-parent peut se poser de nombreuses questions : Quels rôles appartiennent seulement aux parents et jusqu’où un beau-parent peut-il s’impliquer dans la vie d’un enfant, tant d’un point de vue de ses besoins primaires, de ses besoins affectifs, que de son besoin d’encadrement?
Je crois qu’il faut adopter ce rôle en prenant son temps et surtout, en étant conscient qu’il faudra s’ajuster. En fait, il faut prendre conscience que contrairement à notre conjoint(e), son enfant ne nous a pas choisi et notre présence dans sa vie lui demandera une période d’adaptation.
Un beau-parent doit donc d’abord laisser le temps au jeune de l’apprivoiser et de développer sa confiance en lui. Pour bâtir graduellement cette relation, on peut d’abord privilégier le jeu et les soins avant de s’impliquer dans l’éducation et l’encadrement. Si l’enfant sent qu’on cherche à s’imposer dans sa vie avec toute une gamme de nouvelles routines et de nouveaux règlements, il risque de se braquer et de nous percevoir comme un(e) rival(e).
On peut faire un parallèle avec un couple qui vient d’avoir un nouveau-né. Avec un tout petit bébé, on ne fait pas tout de suite de l’encadrement et de la discipline. On commence d’abord par lui donner des soins et beaucoup d’affection. Graduellement, la relation d’attachement se développe et le poupon apprend à faire confiance en Papa et Maman. Ensuite arrive le « terrible deux ans » durant lequel le bambin commence à s’opposer. C’est à ce moment que les parents commencent à appliquer l’autorité et la discipline… bien après que leur enfant ait appris à leur faire confiance. C’est dans la nature des choses.
Ainsi, en tant que beau-parent, avant de commencer à se questionner sur le moment ou la façon d’instaurer son autorité, il faut d’abord se demander comment entrer en relation avec l’enfant, comment respecter son rythme d’adaptation et obtenir sa confiance. Ensuite, à travers le quotidien et avec une bonne communication avec le parent, la meilleure façon de s’impliquer dans la discipline deviendra plus claire… et ce niveau d’implication ne sera pas nécessairement la même d’un beau-parent à l’autre.
En effet, si l’ex de votre conjoint(e) s’investit beaucoup dans l’éducation de son enfant et n’est pas très à l’aise avec votre arrivée dans sa vie, peut-être adopterez-vous un profil plus bas. Si, au contraire, l’autre parent est absent ou désengagé, et que le bambin s’attache promptement à vous, alors peut-être serez-vous à l’aise de vous impliquer plus rapidement.
Toutes les familles recomposées sont différentes et la façon d’aborder le rôle de beau-parent peut varier d’une personne à l’autre, mais certains principes de base peuvent faciliter l’adaptation à ce rôle:
- commencer par développer une relation de confiance avant de s’impliquer dans la discipline
- développer une bonne communication avec le parent afin de pouvoir s’ajuster et trouver un équilibre dans les rôles de chacun
- respecter l’enfant et…
- …s’attendre à ce que l’enfant nous respecte. S’il nous dit le fameux « t’es même pas ma vraie mère » ou « t’es pas mon vrai père », on pourra lui rappeler gentiment qu’après tout, il doit bien respecter son professeur à l’école, même si ce dernier n’est pas son parent!
En suivant ces grands principes de base, non seulement on peut s’adapter à ce rôle parfois ambigu qu’est celui de beau-parent, mais, qui sait, peut-être pourra-t-on même finir par trouver que c’est le rôle le plus génial qu’on n’ait jamais eu à jouer?
PS : Pour plus d’informations sur le rôle de beau-parent, vous pouvez consulter mon livre Mes parents se séparent… et moi, alors? La séparation des parents et les familles recomposées, publié aux Éditions La Presse.